Constentin-François de Volney
« Il y a cinq ans qu’étant assez jeune encore, l’événement d’une petite succession me rendit maître d’une somme d’argent : l’embarras fut de l’employer. [...] J’avais lu et entendu répéter que de tous les moyens d’orner l’esprit et de former le jugement, le plus efficace était de voyager ; j’arrêtai le plan d’un voyage. »
Ainsi commence le récit de Constantin-François, philosophe réputé sous l’Ancien Régime et l’Empire, qui publie en 1787 le compte rendu de son Voyage en Syrie et en Egypte chez Desenne et Volland. Avant de partir, le comte de Volney se prépare pendant un an à ce grand voyage en se soumettant à la marche et au jeûne, mais aussi en apprenant l’arabe au Collège de France. Il se met en route en 1782 en emportant avec lui quelques affaires, un fusil et l’argent de son héritage, décidé à vivre pleinement son périple. Arrivé à Marseille, il s’embarque pour le Caire où il séjourne sept mois, jusqu’en septembre 1783, puis gagne la Syrie et perfectionne son arabe au monastère de Mâr Hanna d’al-Chuwayr. Volney en profite également pour se renseigner sur les tribus avoisinantes et côtoie l’une d’elles durant quelques mois avant de rentrer en France.
Le compte rendu de son voyage est divisé en deux parties, l’une sur l’Égypte et l’autre sur la Syrie. Ces parties ont elles-mêmes deux sous-catégories qui présentent « l’état physique » et « l’état politique » de ces pays. La première catégorie rend compte de la topographie des lieux et des minéraux qu’on peut y trouver. Les ruines des villes visitées sont également évoquées et permettent d’enchaîner sur un résumé historique du pays. La seconde catégorie expose la composition et l’organisation du gouvernement en Égypte et en Syrie, à quels règlements sont soumises les populations et comment elles sont dirigées par les autorités locales et nationales.
Ainsi ce livre se veut être davantage un précis de sciences politiques et de sciences naturelles qu’un essai philosophique. Il peut être pensé comme étant une mise à jour des informations de l’Égypte et de la Syrie sur le plan politique ainsi que sur les ressources naturelles dont elles disposent. Quelles sont leurs forces ? Quelles sont leurs faiblesses ? Disposent-elles de terres riches et fertiles ? Soucieux de retranscrire dans le détail ce qu’il a vu au cours de son voyage, le comte de Volney donne des informations intéressantes sur les relations politiques, commerciales et culturelles entretenues entre l’Orient et l’Occident.
Ce livre n’est pas seulement intéressant pour son contenu littéraire mais aussi pour ses mentions commerciales. La gravure au XVIIIe siècle est un art à son apogée, apprécié par ses contemporains. Pour obtenir de meilleures recettes Volney n’hésite pas à mentionner la présence de deux cartes de Syrie et d’Égypte dessinées par ses soins, ainsi que deux gravures représentant les « ruines du temple du Soleil de Balbek et celles de Palmyre » pour le prochain tome. Ces gravures sont mentionnées non seulement sur la page de titre, mais aussi sur le verso de la garde du livre dans « l’avis au relieur ».
L’auteur et les éditeurs s’assurent ainsi de fidéliser leurs lecteurs en leur promettant un contenu de qualité qui n’est pas forcément disponible dans d’autres récits de voyage au Moyen-Orient. Volney mentionne d’ailleurs la publication d’un recueil de correspondances sur un voyage en Égypte au moment où il rédige son compte rendu. C’est la raison pour laquelle il choisit également de visiter la province syrienne de l’Empire Ottoman qui est « un sujet plus neuf à traiter »2. Ainsi, si le premier volume est moins étoffé que la partie égyptienne sur l’état physique et politique de la Syrie, le second tome est en revanche entièrement dédié aux ruines visitées dans ce pays.
Ce livre, propriété de deux possesseurs différents si on se réfère aux ex-libris manuscrits de la page de titre, semble avoir suscité de l’intérêt chez les lecteurs contemporains. Si nous ne savons pas qui de Desmaures ou de Phasaignelle a corné régulièrement les pages du livre, nous pouvons constater que le récit du comte de Volney au Moyen-Orient a su trouver l’attention d’un lectorat avide de connaître les particularités d’une société étrangère aux moeurs fascinantes.
Isabelle Riquet