Pierre Lottin de Laval
Cette magnifique planche lithographiée est une illustration du rapport d’expédition d’un chargé de mission scientifique. Ce genre de planches confère au texte scientifique un aspect exotique qui a rencontré un certain succès auprès des élites intellectuelles françaises du XIXe siècle. La tendance est alors à l’orientalisme et à l’archéologie.
Issu d’un milieu modeste, Victor Pierre Lottin se fit connaître sous le nom de Lottin de Laval dans le Paris des années 1830. À l’image des héros romantiques de Balzac, Lottin change son nom à la recherche de reconnaissance sociale et de renommée.
Secrétaire et jeune protégé du ministre de l’Intérieur François Guizot, il devint rapidement un auteur de pièces et de romans historiques à succès. Sa fortune lui permit de financer une première expédition scientifique en Orient, couronnée de succès : Lottin découvrit l’antique Ninive et en rapporta des éléments grâce à une invention de son cru, la lottinoplastie. Toujours pratiquée à notre époque, elle permet de relever le moulage en plâtre de ruines sans qu’il soit nécessaire d’emporter les restes pour les étudier. Lottin contribua ainsi à préserver le patrimoine des pays dont il découvrait les trésors.
Les planches gravées du Voyage dans la péninsule arabique… illustrent le résultat de sa seconde expédition scientifique entre 1855 et 1859, mandatée par le musée du Louvre. Le talent de romancier de Lottin le pousse à présenter son expédition archéologique à la manière d’un grand roman d’aventure, et non comme une expédition scientifique. La façon dont il procède pour accomplir son travail de moulage est à peine mentionnée dans ce compte rendu de recherche, tandis que l’auteur met davantage l’accent sur les dangers qu’il a encourus pour sa mission ou les personnalités qu’il a rencontrées au cours de son périple :
« Avant le lever du soleil j’étais debout ; j’allai au raz des Quatre-Ouadis mouler tout ce qui s’y trouvait, et j’eus cruellement à souffrir de la tempête, qui soufflait du nord sans interruption, et faillit vingt fois me précipiter du haut de mes échelles. [...] Je moulai les dernières inscriptions à la lueur d’un fanal et au clair de lune ; puis je me jetai quelques heures sur le sable, brisé, malade, épuisé, et au lever du soleil je remontai sur mon affreux dromadaire, qui était bien la plus dure monture de son espèce, pour aller fouiller au Serbal. »
Ces traits d’exotisme et d’aventure se retrouvent dans les planches lithographiées dessinées par Lottin lui-même, où l’on aperçoit régulièrement des Bédouins en plein désert ou près d’une fabuleuse oasis. Elles correspondent aux endroits où l’équipe a bivouaqué, ou aux paysages de ruines dont le chargé de mission a relevé les empreintes à l’aide de son système de moulage. D’autres illustrations sont des photographies des moulages de stèles et de restes archéologiques que l’archéologue a relevés au cours de sa mission. Enfin, certaines planches reproduisent des textes sur les sarcophages et les stèles que Lottin a traduites dans son rapport. La majorité semble être écrite en araméen, en arabe et parfois en latin. Il arrive que l’auteur dessine l’endroit où elles ont été trouvées, afin de donner un compte rendu précis de ces activités.
Véritable récit d’expédition scientifique, la plume de Lottin octroie à son voyage un caractère épique destiné à lui conférer un certain crédit auprès de ses homologues. Son rapport, dans lequel il se présente comme un travailleur acharné, est son témoignage de bonne foi auprès des conservateurs du Louvre :
« En révélant ces choses personnelles, je ne fais que suivre les conseils d’un savant de premier ordre qui m’honora de son amitié et que je regretterai toujours ; – je veux parler d’Eugène Burnouf. [...] “N’omettez rien, pour qu’on ne puisse douter. Si les monuments n’étaient pas à cette heure coulés en plâtre au Louvre, quoi que vous disiez, quelque confiance que j’aie en vous, je ne croirais pas.” – Assurément, il fallut de l’opiniâtreté, du bon vouloir, plus que cela peut-être, pour atteindre le but qui m’avait été désigné ; autrement, avec les conditions plus que modestes de mon équipage, je serais mort de soif et de faim dans ces déserts, ou je n’aurais fait que peu de chose. »
Ce livre et ces planches, en plus de susciter l’intérêt du grand public pour le Moyen-Orient et l’archéologie, sont donc un excellent moyen pour Lottin de valoriser ses travaux de recherches à l’étranger et d’encourager éventuellement le lancement d’une prochaine mission. Celle qu’il mena dans la péninsule arabique fut néanmoins la dernière, mais les archives départementales de l’Eure ainsi que la maison de Lottin conservent les souvenirs de ces expéditions qui enrichirent la recherche scientifique française.
Isabelle Riquet