Michel Nau
Ce livre, relié avec soin, est le récit détaillé d’un jésuite sur son séjour en Terre Sainte. Le père Michel Nau est un grand orientaliste. Né en 1633 d’une famille anoblie par le roi Henri IV, il entre au noviciat de la compagnie de Jésus en 1649 et, honorant son voeu d’obéissance, se rend en mission au Moyen-Orient. Congrégation de missionnaires, les jésuites envoyés dans l’Empire Ottoman au XVIIe siècle sont notamment chargés d’entretenir un dialogue oecuménique et évangélique avec les populations non chrétiennes. Ces religieux sont également connus pour être des érudits amateurs de connaissances dans tous les domaines en vogue à l’époque, ce qui explique la diversité des informations présentes dans le livre : l’histoire d’un lieu, sa topographie, l’étymologie de son nom, etc.
Au gré de ses déplacements, le père Michel Nau rencontre des dignitaires français avec lesquels il chemine. C’est le cas du marquis de Nointel, ambassadeur de France à Constantinople, avec qui il fait le pèlerinage en Terre Sainte. Le marquis est un allié important pour les jésuites puisqu’il tente en 1670 de faire adopter un protectorat des missions religieuses françaises au sein de l’Empire Ottoman. Le résultat est toutefois très mitigé puisque ce protectorat devient une source de problèmes diplomatiques et politiques entre les États. Il n’en demeure pas moins que le fait de raconter leur séjour à Jérusalem, et d’en informer l’archevêque de Reims, à qui est dédié cet ouvrage, permet de conserver des liens entre les autorités monarchiques et ecclésiales françaises.
Itinéraire symbolique ou pratique ? Le voyage du père Michel Nau commence à Jérusalem, là où le Christ passe ses derniers jours et où naît l’Église. À partir de la maison de Caïphe et du Saint Sépulcre, le pèlerinage se poursuit à travers les différentes régions traversées par Jésus et s’arrête non loin de Bethléem, lieu de son Incarnation. Ainsi, confortablement installé dans son fauteuil, le lecteur visualise précisément les endroits visités par le père qui agrémente ses descriptions d’anecdotes historiques et de méditations spirituelles.
Certains commentaires relèvent des mystères encore aujourd’hui en suspens dans les Évangiles, comme l’identité du disciple qui mena l’apôtre Pierre chez Caïphe, où il renia trois fois le Christ. D’autres reprennent des controverses sur des faits ou des détails comme le bois utilisé pour la sainte Croix. Autant de réflexions éparses que le père Michel laisse à ses lecteurs le soin de poursuivre au gré de leur quête spirituelle.
Ce livre correspond à l’idée qu’on se faisait au XVIIe siècle d’une mission religieuse à l’étranger : menée par un jésuite, issue d’une pensée curieuse de tout, elle renseigne le lecteur sur une civilisation étrangère et sur son histoire. Ici, l’auteur souligne par des faits bibliques et historiques le fait que la Terre Sainte soit le fondement du christianisme et opère ainsi un rapprochement entre deux cultures.
La marque de lecture de cet ouvrage, un marque-page sur lequel est annotée une facture, est le témoin de l’intérêt que portait le lecteur pour ce récit exotique et spirituel. Considérant l’écriture et la monnaie qui y est mentionnée, il est probable qu’il s’agisse d’un lecteur tardif de la fin du XVIIIe siècle, quand les récits de voyage fascinent encore. Il ne nous dit pas en revanche s’il s’est acquitté des quatre francs qu’il devait à son créditeur.
Isabelle Riquet