François de Belleforest
La « cosmographie » renvoie aux projets de description du monde qui se multiplièrent à la Renaissance. La plus importante entreprise cosmographique du XVIe siècle est celle de l’humaniste Sebastian Münster, théologien et géographe allemand, qui édita à Bâle en 1544 la Cosmographia. L’ouvrage se donne pour ambition de décrire les quatre continents connus par une approche historique et géographique mêlant discours et illustration gravée. Son succès fut considérable : en attestent la cinquantaine de rééditions sur un siècle, ainsi que les traductions en français, italien, anglais et tchèque.
Dans la Cosmographia, les textes et les images sont de diverses natures. Cela tient notamment au caractère collectif de la production de ces matériaux. Des correspondants localisés partout en Europe fournissaient à Sebastian Münster des mémoires apportant des éléments historiques et géographiques sur les territoires concernés. Le cosmographe les insérait ensuite dans son exposé, aux côtés de ses propres écrits et d’autres empruntés ailleurs, comme par exemple les récits de voyages vers les mondes inconnus de Marco Polo et Christophe Colomb. Tous ces éléments furent compilés et rassemblés par régions du monde.
Le projet de Münster accorde une place remarquable à l’illustration. Les mappemondes, cartes géographiques et vues de villes – conçues au moyen de la gravure sur bois – rythment la lecture.Des artistes importants, tels Hans Holbein le Jeune ou Urs Graf, en sont le plus souvent les auteurs. Ces images permettent au lecteur de visualiser les pays et les villes dont l’histoire lui est retracée. Chaque représentation témoigne d’une volonté d’exactitude topographique, ce qui inscrit l’édition comme l’un des jalons déterminants de l’histoire de la science cartographique.
La Cosmographia fit l’objet d’adaptations françaises, dont celle conservée par le fonds ancien de la bibliothèque universitaire de l’université Rennes 2, La Cosmographie universelle de tout le monde […] de l’historien François de Belleforest publiée à Paris en 1575. Dans cet ouvrage, François de Belleforest reprend de nombreux passages de la Cosmographia et ajoute plusieurs développements concernant principalement la France. Il s’agit en outre d’une réorientation catholique de la protestante Cosmographia, laquelle, comme le souligne l’historien Frank Lestringant « est aussi et d’abord […] une méditation chrétienne sur la grandeur et la misère de l’homme ».
De format in-folio, La Cosmographie universelle de tout le monde […] se compose de trois volumes constituant deux tomes. Le premier volume dresse le portrait de l’Angleterre, l’Italie, l’Allemagne, la France et la Pologne, parmi d’autres. Le deuxième volume est consacré à la Savoie, la Lorraine, la Hongrie et la Lituanie – pour ne citer que ces quelques exemples. Enfin, le deuxième tome et troisième volume porte notamment sur la Grèce, le Moyen-Orient, la Turquie, et le continent africain. Tous les livres sont structurés selon un ordre précis ; et, pour chaque localité, sont présentés l’étymologie des toponymes, la topographie, les moeurs et les gouvernements des peuples.
La Cosmographie universelle de tout le monde […] est marquée par la dimension collaborative qui caractérisait la Cosmographia. Les autorités municipales des lieux représentés envoyèrent à François de Belleforest les vues topographiques de leur territoire, suite à leur sollicitation par les deux éditeurs, Nicolas Chesneau et Michel Sonnius, par voie de circulaires diffusées partout en France.
D’après les témoignages des contemporains, la lecture des cosmographies pouvait être à la fois théorique et pratique. En 1581, Théodore de Bèze écrivait par exemple ceci : « [la] laborieuse Cosmographie, […] peut servir de guide à ceux qui ne bougent pas de la maison, pour les mener par tout le monde ». Michel de Montaigne, quant à lui, regretta de ne pas avoir emporté la Cosmographia lors de son voyage en Allemagne : l’ouvrage l’eût orienté vers « les choses rares et remarquables » des villes et régions que l’auteur des Essais avait l’occasion de visiter.
Louise Quentel