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Collections numérisées - Université Rennes 2

Montaigne

Page de titre du "Journal de Montaigne"

"Journal du Voyage", Journal du voyage de Michel de Montaigne en Italie, par la Suisse et l’Allemagne, en 1580 et 1581, Paris, Le Jay, 1774.
BU Rennes 2, Rés. anc. 13260

En 1770, un chanoine, en quête d’archives sur la région du Périgord dont il souhaitait retracer l’histoire, découvrit dans le château de l’écrivain Michel de Montaigne le journal que ce dernier avait rédigé lors de son voyage à travers la France, la Lorraine, la Suisse, l’Allemagne du Sud et l’Italie entre 1580 et 1581.

Préalablement déposé à la Bibliothèque du Roi par l’auteur de sa découverte, le manuscrit fit très vite l’objet d’une version imprimée, de format in-quarto, parue en 1774 à Paris, chez le libraire Le Jay. Cette publication est introduite par le « discours préliminaire » d’Anne-Gabriel Meusnier de Querlon (1702-1780), chargé entre 1727 et 1735 de la Bibliothèque du Roi. Celui-ci relate de manière détaillée l’examen du manuscrit « par différents littérateurs, et surtout par M. Capperonnier, garde de la bibliothèque du roi », à la suite duquel « il est unanimement reconnu pour l’autographe des Voyages de Montaigne ». Querlon procède dans un second temps à la description du manuscrit, qui forme « un petit volume in-folio de 178 pages » et auquel il manque « au commencement un ou plusieurs feuillets qui paraissent avoir été déchirés ». On apprend également que la deuxième partie du Journal fut écrite par Montaigne lui-même, en français et en italien ; la première partie, quant à elle, est de la main de son secrétaire. Enfin, Querlon restitue les arguments qui attesteraient de l’authenticité du document : d’abord, l’écriture et le papier, « incontestablement de la fin du XVIe siècle », et surtout « le langage » où « on y reconnaît la naïveté, la franchise et l’expression qui sont comme le cachet de Montaigne ». L’ouvrage se fait ici l’écho de la manière dont était lu l’écrivain des Essais en cette fin du XVIIIe siècle.

Le voyage de Montaigne se déroula du 22 juin 1580 au 30 novembre 1581. Âgé de 47 ans, l’écrivain, qui avait édité plus tôt dans l’année 1580 les deux premiers livres des Essais, souhaitait s’éloigner du contexte politique français déchiré par les guerres de Religion. Le Journal se présente comme le récit compilant les descriptions ville par ville des régions visitées avec les anecdotes vécues par le voyageur à cette occasion – notamment ses rencontres avec les personnalités locales. De nombreuses remarques sur son état de santé sont intégrées à l’ensemble : Montaigne souffrait de la gravelle et, pour soulager ses douleurs, fit étape au cours du voyage dans des villes d’eaux.

Suivant le modèle cosmographique, l’auteur décrit la topographie, le climat, le gouvernement, les moeurs locales, et les monuments remarquables de chaque ville où il s’arrêta. Dans les pages consacrées à Lindau, en Allemagne, il est par exemple noté : « en tout ce pays les fames couvrent leur teste de chappeaux ou bonnets de fourrure, come nos calotes ». Montaigne rapporta ensuite son échange avec le prêtre qui lui avait appris « qu’il n’y a que deus ou trois Catholicques » dans cette cité protestante. Nous lisons dans la continuité que l’écrivain logea à « la Couronne », auberge dans laquelle les meubles étaient de « sapin », « qui est l’abre [sic] le plus ordinere de leurs forest ». L’alimentation régionale suscite de la même manière un long développement : le journal relève ainsi que les habitants « meslent des prunes cuites, des tartes de poires & de pommes au service de la viande, & mettent tantost le roti le premier & le potage à la fin, tantost au rebours ». Ce regard « anthropologique » porté sur les cultures étrangères, et la manière dont il est modelé par le style de Montaigne, font le grand l’intérêt du Journal.

Louise Quentel